Il n’est pas normal que nous délaissions la parole de Dieu pour le service des repas. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre vous, qui soient des hommes estimés de tous, remplis de l’Esprit Saint et de sagesse, et nous leur confierons cette tâche. Pour notre part, nous resterons fidèles à la prière et au service de la parole. (Act 6, 2b-5a)
Voilà en substance ce que le premier des papes, l’apôtre Pierre disait dans l’acte des apotres. Les serviteurs, apotres, disciples, clergés, évêques et papes, devaient rester sur la prière et la parole, laissant le reste du travail au laïcs.
Un peu plus de cinquante ans après les indépendances, la démocratie, la justice et la paix comme culture et valeurs sociopolitiques restent de véritables défis à relever sur le continent africain qui s’essaie à la modernité politique occidentale depuis la colonisation.
Le second Synode africain qui a eu lieu à Rome du 4 au 25 octobre 2009 s’est penché sur l’épineuse question de la contribution de l’Église catholique en Afrique à l’édification de sociétés réconciliées, plus justes et paisibles. À la suite de celui-ci, le 19 novembre 2011, au Bénin, le Pape Benoît XVI donnait l’exhortation apostolique post synodale Africae Munus (AM) à l’Église catholique en Afrique. Dès le premier chapitre le Pape signale qu’en abordant les thèmes de réconciliation, de justice et de paix, le synode s’est intéressé au « rôle public de l’Église et sa place dans l’espace africain aujourd’hui » (AM, 17). C’est ce rôle que j’aimerais ici revisiter en apportant quelques éléments de contexte, avant de souligner les questions sociologiques et ecclésiologiques qui surgissent dès qu’il s’agit de passer de la théorie à l’action.
Substances de situation
Les historiens qui se sont penchés sur les relations Église-État en Afrique noire identifient en général trois périodes correspondant à différentes postures adoptées par les Églises. Il y a d’abord la période allant du début de colonisation, qui dans la plupart des cas coïncidait avec l’évangélisation de l’Afrique noire, jusqu’au milieu des années 1940. Pendant cette première période, l’Église catholique dominée par un clergé occidental, face à des colons occidentaux, prête main-forte à l’œuvre de « civilisation », tout en faisant avancer la cause de l’évangélisation. Les « indigènes », traités comme des mineurs, n’ont pas voix au chapitre. Mais à partir des années 1940, l’Église catholique sera rejointe et progressivement éclipsée de la scène publique par les partis politiques, les syndicats, la presse écrite et autres forces sociales sur lesquels vont se greffer les revendications indépendantistes.
Entre 1960 et 1990, les Églises locales s’adaptent aux régimes monolithiques selon la situation de chaque pays. Mais en général, sauf dans les pays ayant flirté avec le communisme, la collaboration se poursuit dans les domaines de la santé et de l’éducation. Là où les gouvernants, obsédés par la dérive autocratique, ne peuvent obtenir le soutien explicite de l’épiscopat, l’Église est soigneusement confinée dans ses missions religieuses et sociales.
À partir des années 1990, à la faveur du vent démocratique, les Églises locales redécouvrent leur rôle public et reprennent la parole sur les questions sociales et politiques.
Dans certains pays, le clergé est sollicité pour jouer un rôle majeur dans les conférences nationales souveraines, véritables outils d’arbitrage et de transition. En effet, quelques évêques ont présidé, avec plus ou moins de succès, ces conférences à l’heure grave des transitions vers le pluralisme politique. Après le premier Synode des évêques africains en 1994, le Pape Jean Paul II recommande, dans l’exhortation post-synodale, Ecclesia in Africa, la création des commissions Justice et Paix; lesquelles vont donner un espace d’expression au laïcat sur les questions sociales et politiques.
Pour revenir au pape Benoît XVI, il reconnaît de prime abord que « la tâche qu’il nous faut préciser n’est pas aisée, car elle se situe entre l’engagement immédiat en politique qui ne relève pas de la compétence directe de l’Église » (AM, 17). Si ce paragraphe ne précise pas encore le rôle public de l’Église, il permet de tirer deux conclusions préliminaires : la première est le constat de la difficulté de la tâche ; la seconde est que l’engagement immédiat en politique n’est pas de la compétence directe de l’Église.
Quelques paragraphes plus loin, le pape se fait un peu plus précis en affirmant : « Une des tâches de l’Église en Afrique consiste à former les consciences droites et réceptives aux exigences de la justice pour que grandissent des hommes et des femmes soucieux et capables de réaliser cet ordre social juste par leur conduite responsable » (AM, 22).
La sphère politique est ici bien distinguée des autres sphères de la société dans une approche qui prend pour acquise la différenciation sociale clamée par les théories de la modernité. Chaque sphère aurait donc sa compétence spécifique qu’il conviendrait de respecter. Dans une telle configuration, l’Église tient à préciser la nature de sa mission, qui est essentiellement celle d’annoncer l’évangile pour éduquer les consciences à l’amour de la vérité et aux exigences de la justice, laissant à chaque chrétien le soin d’analyser les divers programmes politiques soumis à son appréciation à la lumière de ces valeurs.
Ce rôle éducatif est davantage précisé en ces termes : « La mission de l’Église n’est pas d’ordre politique. Sa fonction est d’éduquer le monde au sens religieux en proclamant le Christ. » (AM, 23)
C’est dans l’annonce de l’évangile de la vérité, de la justice et de la paix que l’Église éduque.
L’axiome sociologique à l’épreuve de la laïcité à l’africaine
Il est clair pour le pape que « la mission de l’Église n’est pas d’ordre politique » (AM, 23) mais spirituel, que « l’engagement immédiat en politique ne relève pas de la compétence immédiate de l’Église » (AM, 17), mais de la sphère politique dont la mission principale est de construire un ordre social juste (AM, 22).
L’Église se déclare ouverte à une saine coopération avec l’État, puisque « tous deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes ».
Dans la section de Africae Munus consacrée à la bonne gouvernance des États, Benoît XVI écrit : « Un instrument majeur au service de la réconciliation, de la justice et de la paix, peut-être l’institution politique dont le devoir essentiel est la mise en place et la gestion de l’ordre juste. Pour concrétiser un tel idéal, l’Église en Afrique doit contribuer à édifier la société en collaboration avec les autorités gouvernementales et les institutions publiques et privées engagées dans l’édification du bien commun » (AM, 81); mais comment alors expliquer que certains clergés catholiques de RDC s’ingèrent dans le combat politique en se refusant de condamner certains hommes politiques qui menacent l’existence même de la nation, au profit d’autres qui leurs offrent des largesses temporelles ?? ?
En effet, l’Église est le corps mystique du Christ avec une mission essentiellement religieuse. Et son apport dans la vie politique ne peut être fait que via les laïcs car l’expérience a montré que l’exercice de cette vie politique par le clergé est exposé aux mêmes abus que ceux qui ont cours dans le monde séculier, d’autant que l’Église est une organisation à hiérarchie pyramidale avec une forte concentration de pouvoir entre les mains du clergé.
Karl Rahner souligne d’ailleurs la nécessité d’une lucide critique sociale et politique de l’Église elle-même.
Benoît XVI ne manque pas de rappeler que le service de la réconciliation, de la justice et de la paix doit commencer au sein même de l’Église [4]. Le Pape invite particulièrement les évêques à être « exemplaires par votre vie et votre comportement. La bonne administration de vos diocèses requiert votre présence. Pour que votre message soit crédible, faites que vos diocèses deviennent des modèles quant au comportement des personnes, à la transparence et à la bonne gestion financière. » (AM, 104) En d’autres termes, l’Église ne saurait donner de leçons de bonne gouvernance à la société si elle n’est pas elle-même exemplaire en la matière.
A Chacun sa tache…
Dans Africae Munus, le pape Benoît XVI précise que dans le rôle public que joue l’Église, tous ses membres ne sont pas appelés à faire la même chose. Unité du corps, mais diversité de fonctions : « les dons faits par le Seigneur à chacun – évêques, prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes, laïcs – doivent contribuer à l’harmonie, à la communion et à la paix dans l’Église elle-même et dans la société » (AM, 97).
L’exhortation post synodale précise bien ce qui revient à chaque catégorie de membres de l’Église; mais il convient de distinguer particulièrement le rôle public du clergé de celui des laïcs. Si les clergés commencent à prendre la place du laïc dans le débat politique, alors il faut s’attendre à ce que demain le laïc porte aussi la soutane pour dire la messe ?
C’est finalement aux laïcs que revient principalement la tâche de participer activement et directement à la vie politique, d’où la nécessité de bien les former à la vie spirituelle et à la doctrine sociale de l’Église, pour que les vertus chrétiennes informent leurs actions sociales et politiques.
Comme l’affirme le pape Benoît XVI, « par ses membres laïcs, l’Église se rend présente et active dans la vie du monde. Les laïcs ont un grand rôle à jouer dans l’Église et la société. Cette édification d’un ordre social juste doit intégrer “l’option préférentielle pour les pauvres” » (AM, 130).
Tout en prônant la sanctification du temporel par les laïcs, l’Église tient à préserver son indépendance pour sauvegarder sa fonction prophétique. En effet, les programmes politiques et sociaux portés par des laïcs engagés dans la vie politique n’engagent pas l’Église.
En guise de conclusion, nous pouvons dire que l’Église ne fait pas de politique au sens où elle n’influence pas directement le choix des responsables politiques ou en critiquant des personnalités politiques, épousant même de fois le discours des opposants réfractaires à la loi du pays. Et cette posture, prise par certains clergés de notre pays, étonne dans la mesure où en occident l’église existe aussi, il y a également des problèmes d’ordre politique, on n’enregistre pas un tel activisme des clergés de ces pays.
C’est cela le sens de l’appel du Chef de l’Etat en parlant d’unité nationale menacée par certaines personnes qui se disent de l’église, mais qui en plein jour boycottent la laïcité de la RDC, pire, elles soutiennent les interpellés de justice, décrétant qu’ils sont innocents comme si les magistrats du pays ne savaient pas faire leur travail, critiquant le travail de la CENI, distribuant des bons ou mauvais points à qui ils veulent, ne voyant que le mal mais n’appuyant jamais ce qui est bien fait.
Jean Thierry Monsenepwo, Cadre USN 28 juin 2023 23:12