RDC: “La diminution du prix du carburant à la pompe n’a aucun impact sur le prix de transport urbain ainsi que le panier de la ménagère”, Réaction de l’économiste Georges-Kettel Yamba Ngoie concernant les mesures contre la vie chère prises par le gouvernement

Ayant acquis une grande expérience dans le secteur des hydrocarbures et des finances, pour avoir été pendant 10 ans successifs, Conseiller en charges des produits pétroliers et des questions financières au Ministère de l’Economie Nationale (2011-2021), Directeur Général Adjoint à SPSA-COBIL, et Administrateur Directeur Général de COBIL SA, je me permets de donner un avis sur les scénarii proposés en Conseil des Ministres du vendredi 9 août 2024, en ce qui concerne les prix des produits pétroliers à savoir :

Scénario 1 : ajustement du Prix Moyen Frontière (PMF) par le plafonnement du prémium à l’équivalent en FC de 100 USD, qui pourrait engendrer une baisse du prix de 116,43 FC soit 3,4% de réduction ;

Scénario 2 : suppression de la mutualisation et prise en charge des coûts de la logistique par unité de volume manipulé ; il débouchera sur une baisse de 177,63 FC soit 5,2% de réduction ;

Scénario 3 : combinaison des deux premiers scénarios qui entrainera une baisse des prix des produits pétroliers de 335,93 FC soit 9,8% de réduction.

AVIS ET CONSIDERATIONS

Tout en appréciant à sa juste valeur le travail qui a été fait de manière fouillée et professionnelle, et sans le remettre en cause, il y a tout de même des zones d’ombres qui nécessitent d’être éclairées.

Avant d’analyser les trois scénarios, il y a lieu de noter ce qui suit :

*Les prix des carburants terrestres et d’aviation en vigueur ne sont pas contestés ni par la population, ni par les consommateurs en RDC ;

La diminution du prix à la pompe n’a aucun impact sur le prix de transport urbain ainsi que le panier de la ménagère, du fait que le prix de transport urbain, est indexé sur le taux de change réel, par contre cette diminution du prix à la pompe génère des pertes et manques à gagner ;

*Les différents rapports d’audit réalisés en 2015 et en 2023 par des cabinets DELOITTE, KPMG, HUMANITAS et MAZARS, ont conclu à l’augmentation des charges d’exploitation des sociétés commerciales pétrolières ainsi que celles de logistique.
Ainsi, toute économie substantielle dans la structure des prix des produits pétroliers doit chercher à éliminer les pertes et manques à gagner afin de donner des ressources aux sociétés pétrolières pour leur exploitation.

Scénario 1

Le prix moyen frontière commercial en sigle PMFC, exprimé en USD par M³, est la moyenne pondérée des valeurs CIF des stocks des produits pétroliers Est-Ouest-Sud. La marge bénéficiaire des sociétés commerciales est de 10% du PMF.
Le PMFC est constitué à 75% des cotations Platts, 20% du différentiel de transport et 5% des débours.
Il y a lieu de noter que le premium est une moyenne pondérée en fonction de la quantité du fret détenu par les différents fournisseurs. Il est fixé conjointement par le ministère des hydrocarbures et les fournisseurs. Sa valeur actuelle est comprise entre 130 et 140$ pour les carburants terrestres et entre 175 et 200$ pour le carburant d’aviation. Dans le premium il y a les frais payés à l’OCC pour le contrôle de la qualité et de la conformité des produits et à l’agent maritime AMICONGO.
La fixation de cette valeur tient compte de la dette fournisseur qui est de plus de 100 millions USD, dont le délai de remboursement dépasse largement les échéances fixées, et du risque encouru en RDC, lié au principe de consignation du carburant à la douane. Réajuster à 100$ la valeur du premium, pourrait perturber l’approvisionnement en carburant ou générer pour les SOCOM, des pertes et manques à gagner sur le PMF.
Néanmoins, certaines lignes peuvent faire l’objet de discussion pour qu’elles soient retirées. Ce sont notamment les pertes et coulages en mer (0,25% FOB), le coût de financement 2% (FOB + assurance + pertes et coulages) ainsi que les surestaries.
Les pertes et coulages en mer ne sont pas toujours effectifs, ils devraient figurer dans la comptabilité du fournisseur dans la rubrique « pertes pour risque et charges diverses », de même il n’est pas juste de faire supporter au consommateur congolais le coût du financement du crédit obtenu auprès des institutions financières pour faire du business en RDC, le plus souvent obtenu à des taux d’intérêt nul ou inférieur à 1, ainsi que les surestaries allant de 20.000 à 25.000$/jour, alors que ces derniers ne sont pas responsables du retard dans le déchargement de la cargaison.
Cependant, la suppression de ces lignes peut induire une diminution du PMFC de moins de 2%, ce qui est insignifiant, mais peut accroitre les recettes fiscales pétrolières.

Scénario 2

La suppression de la mutualisation de volume mis en consommation est justifiée, car ce principe renchérit le coût des produits, en payant tous les logisticiens inscrits dans la structure des prix des produits pétroliers, même ceux qui n’ont pas intervenu dans la mise en place des carburants.

Quant à la prise en charge des coûts de la logistique par unité de volume manipulé représente un risque de voir diminuer sensiblement les charges d’exploitation, alors que les différents rapports d’audit recommandent leurs hausses. D’autant plus qu’il n’est pas indiqué le montant de rémunération à l’unité. La baisse de 177,63 FC soit 5,2% de réduction repose sur quel paramètre ou mode de calcul ?

Les charges réelles des sociétés pétrolières ont augmenté pour différentes raisons :

*L’augmentation du volume mis en consommation (croissance) ;
*L’augmentation du niveau général des prix de biens de consommation ;
*L’augmentation des normes technologiques et environnementales.

Scénario 3

Le prix du carburant en vigueur génère des manques à gagner pour la profession pétrolière du fait de la disparité entre le taux de change structure (2.500 FC pour 1 USD) et le taux de change réel (2.850 FC pour 1 USD), ce qui occasionne une perte de 350 FC/litre.

Pour baisser les prix du carburant à la pompe, on doit soit baisser le taux de change, soit diminuer les charges d’exploitations, soit diminuer la parafiscalité, avec comme conséquence la perte des recettes fiscales qui sont d’ailleurs inscrites dans la loi des finances en cours d’exercice, et l’augmentation substantielle des pertes et manques à gagner qui pourraient atteindre le demi-milliard au 31 décembre 2024.

Les manques à gagner certifiés au 30 juin 2024 sont d’environ 350 millions USD. L’Etat devrait faire un choix, soit appliquer les trois scénarii, qui pourraient créer des équilibres importants dans l’approvisionnement du pays en produits pétroliers, soit maintenir le niveau actuel des prix à la pompe, réajuster le taux de change pour mettre fin à ce phénomène des manques à gagner qui est très couteux pour le Gouvernement et fait souffrir les trésoreries des sociétés pétrolières.

Enfin, j’invite Son Excellence Monsieur Daniel MUKOKO SAMBA, Vice-Premier Ministre, Ministre de l’Economie Nationale, à actualiser en urgence l’Arrêté interministériel n° 06/CAB/MIN-ECO&COM/2012, n° 08/CAB/MIN/HYDRO/2012 et n° 650/CAB/MIN/FINANCES/2012 du 14 décembre 2012 modifiant et complétant l’Arrêté interministériel n° 05/CAB/MIN-ECONAT/2011, n° 019/CAB/MINHYDRO/2011 et n°330/CAB/MIN/FINANCES/2011 du 31 décembre 2011 fixant les modalités de révision de la structure des prix des carburants terrestres et d’aviation, car devenu caduque et ne tient pas compte des réalités actuelles. Il pourra apporter des solutions aux différents problèmes de la structure des prix des produits pétroliers.

Georges Yamba Ngoie 

Fait à Kinshasa, le 13 août 2024